

La lutte Kusthi, sport roi en Inde, vivier d'athlètes olympiques
Deux lutteurs en pagne, mains et torses nus, s'enduisent le corps d'huile de moutarde et de sable pour une meilleure saisie. En Inde, la lutte ancestrale Kushti se déroule dans la terre.
"La terre nous donne de l'adhérence et permet d'avoir une meilleure prise", explique Mauli Jamdade, 33 ans, un lutteur professionnel très populaire localement.
Devant des centaines de spectateurs massés derrière des barrières, à Shirwal, une petite ville de l'Etat de Maharashtra, dans l'ouest de l'Inde, il est venu à bout de son adversaire après plus d'un quart d'heure.
Les deux solides sportifs, aux bras et aux jambes très musclés, se sont tournés autour avant de se livrer à un corps à corps.
Au Kushti, ni coups ni étranglements mais des projections au sol. Le gagnant est celui qui réussit à plaquer les deux épaules au sol de son adversaire, sans aucune limite de temps.
Vieille de plusieurs millénaires, cette discipline a émergé sous l'empire moghol musulman qui a régné sur une grande partie de l'Inde à partir du XVIe siècle.
C'est aujourd'hui un vivier pour la fédération indienne de lutte qui ne recrute pas ses futurs médaillés olympiques sur des tapis mais sur des terrains faits de terre mélangée à du curcuma, du yaourt, des feuilles de margousier et d'huile.
"C'est à partir de la terre que les lutteurs se retrouvent aux Jeux Olympiques", souligne Sachin Mote, un des centaines de spectateurs venus encourager des lutteurs à Shirwal.
- Vie d'ascète -
Ce sport est l'un des rares qui rapporte des médailles olympiques à l'Inde, qui s'est portée candidate à l'organisation des JO d'été de 2036. Depuis leur première participation aux Jeux olympiques de Paris de 1900, le pays a gagné 41 médailles au total.
Aux Jeux de Paris en 2024, Aman Sehrawat a remporté une médaille de bronze en lutte libre, quatre ans auparavant Ravi Kumar Dahiya l'argent à Tokyo.
Dans le pays le plus peuplé de la planète, où le cricket est roi, le kushti, n'est pas simplement un spectacle mais presque une religion.
Anil Harale, guichetier dans une banque, a mis fin à sa carrière après une blessure à la jambe. Mais il continue régulièrement à troquer ses habits de ville pour se battre dans la terre.
"Ça me manque" reconnaît le quadragénaire, qui caresse l'espoir que son fils devienne un champion.
La ville de Kolhapur, est un des hauts lieux du kusthi et compte de nombreux "talims", l'équivalent des dojos.
C'est à l'âge de 14 ans, que Mauli Jamdade, désormais lutteur professionnel, a rejoint le talim Gangavesh.
Une image du singe hindou Hanuman, dieu de la force et du pouvoir vénéré par les lutteurs, surplombe les fosses où il s'entraîne.
Pour lui, "la terre est sacrée" car "il n'y a rien sans elle".
Plus d'une centaine de lutteurs - certains d'à peine 10 ans - s'entraînent au sein de ce "talim".
Ils mènent une vie d'ascète: entraînement avant le lever du jour, enchaînant course, centaines de pompes et grimper de corde.
- Menus pantagruéliques -
Tabac et alcool sont interdits et l'usage du téléphone limité et les relations sexuelles taboues afin que les sportifs se focalisent sur leur pratique.
Mauli Jamdade a consacré sa première année au "talim" à prendre du poids.
"Il y a des gens qui pèsent 125-130 kilogrammes", explique-t-il.
"Pour les affronter et égaler leur force, je dois peser au moins 120 kilos".
Les jours sans compétition ni entraînement, il les consacre à son alimentation.
Il doit ingurgiter au moins cinq kilos de viande de chèvre chaque semaine, environ 70 blancs d'œufs, 24 pommes, des légumes à feuilles et des fruits secs.
Auxquels s'ajoutent au moins 21 litres de lait, 14 litres de jus de citron doux et un mélange protéiné à base d'amandes, de noix de cajou, de miel, de graines de cardamome et de lait.
Son budget alimentation s'élève à environ 350 dollars (309 euros) par mois mais l'argent que lui rapporte ce sport lui permet de venir en aide à sa modeste famille, qui vit de l'agriculture.
Lors des tournois, il gagne de quelques centaines à 1.700 dollars, soit plus que le revenu annuel moyen d'une exploitation agricole.
Tandis que la lutte sur tapis est de plus en plus populaire, ce professionnel continue de croire que les combats sur de la terre ont de l'avenir, notamment car ils restent une des principales attractions lors des foires de village.
"La lutte dans la terre ne cessera jamais".
S.Schwarz--BP