

"Made in prison": en Bulgarie, on s'arrache les fromages des détenus
Il y a de quoi en faire tout un fromage: en Bulgarie, les produits laitiers fabriqués par des détenus dans une prison ont désormais conquis les gourmets des quatre coins du pays.
A Smolyan, près de la frontière grecque, au coeur du massif brumeux des Rhodopes, Gueorgui Filyanov brasse d'un geste expert 500 litres immaculés dans une grande cuve, charlotte blanche sur la tête.
"Ce travail intéressant, ni trop dur ni trop facile", a de quoi faire passer la détention plus vite, résume le trentenaire aux yeux clairs, condamné à deux ans et demi de prison pour trafic de stupéfiants.
Avec à la clé une remise de peine de six mois et une cagnotte mensuelle de plusieurs centaines d'euros qui facilitera sa réinsertion.
La fabrique "Guerzovitsa", installée dans un bâtiment imposant de quatre étages, s'est désormais fait un nom. Au point qu'elle n'arrive pas à satisfaire toute la clientèle.
- "Sans conservateurs ni additifs" -
La centaine de détenus purgent des peines en régime ouvert pour divers délits, de la conduite en état d'ivresse aux vols et homicides.
Dans ce pays vieillissant, marqué par l'exode de millions de Bulgares après la chute du communisme, la surpopulation n'est guère un problème, avec 86 détenus pour 100.000 habitants, loin derrière la France (111), selon les chiffres d'Eurostat.
Même si, par le passé, les conditions de détention ont été régulièrement pointées par le Conseil de l'Europe en raison de la vétusté des cellules, d'un manque chronique de personnel et de l'absence d'activités.
Dans ce paysage carcéral peu reluisant, en progressive amélioration, Smolyan détonne.
L'idée d'une laiterie vient de l'ancien directeur de cette prison, nichée dans une gorge verdoyante le long d'une route sinueuse, dans les murs d'une ancienne exploitation d'uranium dont les mines ont fermé en 1989.
"Au début, nous gardions seulement des bovidés pour la traite, mais on vendait à perte", raconte Hristo Solakov.
Alors le responsable s'est dit: pourquoi ne pas "boucler le cycle" et transformer cette matière première? Un pari dont le succès a dépassé toutes les espérances.
Lait caillé, feta et yaourt bulgares, "nos produits sont sans conservateurs ni additifs, selon la norme officielle", vante cet énergique responsable de 62 ans. Ce qui justifie d'ailleurs un prix plus élevé que celui de la concurrence.
- Projets d'agrandissement -
Si la moitié de la production est destinée aux détenus du pays, le reste de la marchandise s'écoule facilement dans quelques points de vente sélectionnés.
De quoi donner envie de continuer, une fois la liberté retrouvée.
Tout sourire, Ivan Patazov explique "avoir un projet avec sa famille", déterminé à mettre à profit les compétences et responsabilités acquises. Le détenu de 31 ans découpe soigneusement le fromage affiné, le pèse, le met sous vide et l'étiquette.
"Ce ne sera pas le premier à poursuivre sur cette voie. Un ancien condamné, après avoir passé trois ans ici, a ouvert sa propre affaire et il emploie huit personnes aujourd'hui", détaille fièrement M. Solakov avant d'emprunter une route cabossée grimpant vers la montagne.
Un troupeau d'une centaine de chèvres blanches broute l'herbe avec appétit sous la surveillance d'un autre prisonnier.
"Autrefois, on pillait la laiterie. Maintenant, on l'installe carrément en prison", s'amuse Hristo Solakov, dans une allusion aux résistants de la Seconde guerre mondiale, connus pour avoir dévalisé des paysans malheureux pour survivre aux nazis et à leurs alliés bulgares.
Mais le responsable doit vite redescendre en ville: il espère obtenir des fonds municipaux pour élargir sa palette avec le "Kachkaval", dont le goût savoureux est prisé dans les tous les Balkans.
T.Schmid--BP